jeudi 31 janvier 2008

Le meurtre de Kanoko (poème d'ITOH Hiromi)

Le meurtre de Kanoko [1]

« Voilà la jambe. Pour connaître la période de la grossesse, un des quatre membres est le mieux approprié. Dans ce cas-ci, le foetus avait exactement quinze semaines. »

Sa taille est de trois pouces à peu près. La chose est faite de cuisse arrachée, genou, mollet, pied, et de cinq orteils.

« Des bébés sont nés vivants deux fois en une semaine. Le vagissement s’est fait entendre dans la salle où toutes les femmes voulaient calmer le désir d’avorter. »

Lorsque je lisais ce livre, ma sœur

M’a dit

J’ai fait couler un môme il y a quelques jours

Elle a fait couler un môme

Selon son vocabulaire

Le môme s’est fait couler

Félicitations

Kanoko ne s’est pas fait couler

Comme ma sœur m’a demandé

Est-ce que tu l’as déjà fait, Hiromi-chan ?

J’ai répondu

Affirmative

Mais faire couler un môme

N’est pas dans mon vocabulaire

Kanoko ne s’est pas fait couler

Moi

J’ai interrompu la grossesse d’un fœtus qui devait ressembler à Kanoko

Il eût été possible que j’aie

Un enfant vivant qui devait ressembler à Kanako

Si le fœtus qui devait lui ressembler eût grandi

Mais il ne s’agit pas de Kanoko

Félicitations de l’avoir détruit[2]

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

J’ai déjà artificiellement interrompu la grossesse

Félicitations de l’avoir détruit

Le docteur m’a dit "Vous aurez du lait

Car votre bébé était grand"

Il me le dit mais je ne sais pas comment réagir autrement que de rire bêtement

Rire bêtement

Tout bêtement

Hi hi

Hi hi

Mais félicitations

Le lait est vraiment sorti de moi

C’était seulement à tel point que du liquide blanc bavait si je pinçais fort

Mes seins ne gonflaient pas

Ils ne démangeaient pas du tout

Ce n’était pas drôle du tout

Félicitations

Malgré tout

Il est à féliciter que le lait sort de moi

Car une chose douce qu’on peut boire

Jaillit

D’un endroit où il n’y avait rien

Car on peut grossir en la buvant

Car je sécrète

Une chose pareille

Au LAIT qu’on achète en payant

Car je la sécrète comme le pipi

Car je la sécrète comme la salive, les larmes et la sécrétion vaginale

Car le lait abondant jaillit

De mon anus de ma bouche de mon urètre de mon vagin

Ça me rend heureuse

Ça me rend joyeuse

Donc, félicitations

J’ai déjà interrompu la grossesse à la période moyenne

J’ai demandé si le bébé était garçon ou fille mais

Ce n’est pas exact de parler de bébé

Il faut dire fœtus

C’est normalement un règlement de ne pas le dire

Parce que le choc est grand

De la part du corps maternel

Le corps maternel pense

J’ai déjà eu l’intoxication de la grossesse

D’un fœtus qui ressemblait à Kanoko, garçon ou fille

J’ai déjà eu la grossesse multiple anormale

J’ai tout vu les boutons abondants dans mon utérus

Ils devraient ressembler à Kanoko comme les autres

J’ai déjà fait le cancer d’utérus

J’ai déjà fait l’ablation d’utérus et d’ovaire

J’ai déjà accouché

J’ai déjà fait l’accouchement d’absorption aux douleurs faibles

J’ai déjà fait l’hystérotomie

J’ai déjà fait la grossesse amusante

Mon utérus était content

Tout mon corps était turgescent

J’ai eu la boulimie sans pouvoir arrêter

Je pouvais me masturber sans fin

En pensant à l’accouchement

Imaginant le moment de la parturition paroxystique

Le mouvement des doigts d’une femme enceinte qui s’amuse

J’ai donc déjà allaité

Félicitations de l’avoir détruit

Six mois sont passés

Des dents poussent à Kanoko

Elle mord le mamelon et veut l’arracher

Elle cherche toujours le moment de l’arracher

Kanoko dévore mon temps

Kanoko dérobe ma nourriture[3]

Kanoko menace mon appétit

Kanoko arrache mes cheveux

Kanoko m’a exigé le nettoyage de toutes ses fèces

Je veux jeter Kanoko

Je veux jeter Kanoko sale

Je veux ou jeter ou tuer Kanoko qui arrache mon mamelon à ses dents

Je veux ou la jeter ou la tuer

Avant qu’elle ne fasse couler mon sang

J’ai déjà fait l’infanticide

J’ai déjà abandonné un cadavre

C’est facile si vous le faites juste après l’accouchement

C’est plus facile que l’avortement si vous n’êtes pas trahie

J’ai une énorme confiance en moi

Pour que je le fasse sans se faire découvrir

Je peux enterrer Kanako sans façon

Félicitations, Kanoko enterrée

Félicitations

Des coïts que je ne peux m’empêcher de faire

Dizaines de Kanoko que je ne peux m’empêcher de concevoir

Dizaines de Kanoko que je ne peux m’empêcher d’avorter

Sauf une seule

Qui est la Kanoko actuelle

Qui veut arracher mon mamelon

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Supplice amusant de l’enfant adopté

Meurtre amusant de l’enfant adopté

Je l’ai déjà fait

Mon propre enfant est le plus adorable

Abandon joyeux d’un enfant

Je l’ai déjà fait

Je suis la plus adorable moi-même

Félicitations félicitations

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations félicitations

Tout le monde me félicite

Médoc de Gen’ichirô-san[4]

Roses de Higuchi-san

Lapin de Kôhei-san

Ourson d’Ishizéki-san

Sac de couches de Miyashita-san

Chien de papier mâché de Shirôyasu-san[5]

Argent d’Abé-san et d’Iwasaki-san

Gâteau de Non-chan

Super 8 de Kanéko-san

Télégramme de Kozaki-san

Tout le monde me félicite

Merci merci

Kanoko contente

M’arrache le mamelon

Je veux jeter Kanoko

Dans la joie

Sans pleurs ni remords

Je veux abandonner Kanoko joyeusement à Tôkyô

Félicitations

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Téruko-chan

Félicitations d’avoir avorté

Mihoko-chan

Félicitations d’avoir jeté Také-chan

Kumiko-san

Félicitations d’avoir tué Tomo-kun

Mari-san

Pourquoi pas abandonner Nonoho-chan également ?

Mayumi-san

Ton fœtus était un garçon ? ou une fille ?

Riko-chan

Il est bientôt le temps de jeter Kôta-kun aussi

Que tout le monde jette

Les filles

Les fils

Qui font du bruit avec leurs dents voulant arracher le mamelon

Le mobile du suicide d’une amie “Hiromi”-san qui a sauté

Il y a trois ans à ce moment de l’année

Était

Probablement

“Le problème des hommes”

Mais il semble qu’elle ait aussi souffert des

“Champignons”[6]

C’est pour cela que “Hiromi”-san

S’est étendue

Sur le sol

Ayant sauté

En cachant soigneusement ses orteils aux “champignons” et

En mettant son jean

J’imagine encore aujourd’hui après trois ans

Deux jambes mortes et le ventre

D’une femme bien jolie de vingt-quatre ans

Bien que je ne l’aie pas vue

Deux jambes mortes et le ventre

Deux jambes mortes et le ventre

Félicitations de l’avoir détruit

Je me suis emportée malgré moi

Et j’ai frappé la tête de Kanoko (6 mois)

Avec le réveil qui se trouvait à côté

Elle a perdu son souffle

Et elle ne bougeait plus du tout

Même si je l’appelais, secouais ou frappais

J’ai donc pensé que je l’avais tuée et que j’avais fait quelque chose d’irrémédiable

J’ai eu peur

Je suis sortie

En la laissant dans cet état

Lorsque je suis retournée à peu près dans deux heures

Il me semblait qu’elle était toujours morte

Que tout son corps était couvert de fourmis

Et qu’elle s’est un peu déplacée

De l’endroit où je l’avais posée au début

Et ensuite j’ai trouvé un bébé moineau

Qui se débattait sur la route

Comme il faisait trop chaud

Je l’ai posé une fois à un endroit humide à côté de la route

En pensant que c’était mieux que de le laisser sur la route desséchée

Mais comme il s’agissait bien d’une autoroute

J’ai cru qu’elle était dangereuse puisqu’il n’y avait pas d’abri

J’imaginais qu’un endroit aux herbes

Sur la terre serait mieux

Au moins

J’ai trouvé une telle place où je l’ai posé

Et j’ai regardé de nouveau en rentrant

Félicitations de l’avoir détruit

Probablement

Avant que je ne voie le bébé moineau

Je m’étais aperçu qu’il y avait beaucoup de fourmis

Mais je ne pensais pas qu’il y ait des rapports

Tout son corps excepté sa tête

Était couvert des insectes

Et ils montaient même sur cette partie du corps sans s’arrêter

Le bébé oiseau remuait

Ses ailes sans poil qui exposaient la partie charnelle

Et il voulait s’échapper des fourmis qui étaient sur tout son corps

En criant

Nerveux

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Je pouvais

Toucher le bébé moineau qui n’était pas couvert de fourmis

Mais je ne pouvais toucher le bébé moineau couvert de fourmis

J’ai fui ce lieu

Sans pouvoir rien faire

Bien sûr que la responsabilité directe est à moi mais

Probablement

Ce n’est pas que j’ai peur de Kanoko

Parce que j’imagine le bébé abandonné

Couvert de fourmis

J’ai peur des fourmis innombrables

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit

Félicitations de l’avoir détruit
Félicitations de l’avoir détruit

Poème d'ITOH Hiromi (1955), traduit par moi. Le poème date de 1985.
Ses poèmes "sexuels" ont fait un grand scandale dans le petit monde qui lisait les poèmes. J'avais une grande aversion envers elle quand j'étais adolescent, mais curieusement, elle est ma poétesse préférée depuis une dizaine d' années. Je cite ce poème pro-avortement comme un exemple des variations de la poésie contemporaine japonaise.

[1]Prénom de la fille d'Itoh Hiromi.

[2]C’est une parodie de la salutation du nouvel an.

[3] Itoh Hiromi était anorexique.

[4]TAKAHASHI Gen’ichirô : Romancier japonais. Il s’est fait connaître comme le porte-drapeau du roman pop, avec son roman Adieu, les gangsters.

[5] SUZUKI Shirôyasu (1935-) : Poète japonais. Sa série de poèmes absurdes et vulgaires en apparence, « Puapua », est une métaphore de la condition de la littérature moderne.

[6]Itoh Hiromi elle-même souffre de vilains champignons à ses orteils.



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